Après avoir parcouru le grand nord durant des années à la fois dans le cadre de mon travail mais aussi pour moi, j’ai un jour déménagé aux pieds des montagnes dans les Alpes et ai découvert un nouvel univers. A ma grande surprise, j’ai retrouvé de nombreux éléments ou espèces vivantes que je pensais propres à l’Arctique. J’ai aussi admiré avec émotions des glaciers, mais cette fois-ci près de chez moi. Quand randonner en montagne s’apparente à une micro-aventure polaire.
Altitude et latitude
Définitions
L’altitude désigne l’élévation verticale à partir d’un point par rapport au niveau de la mer, que l’on considère comme le point zéro. Pour monter en altitude, il faut donc prendre de la hauteur. La meilleure manière de le faire ? Une paire de chaussure de marche, de bâtons, des vêtements adaptés et c’est parti pour une belle randonnée en montagne.
La latitude est quant à elle, la distance angulaire depuis l’équateur considéré comme le point zéro. Chambéry est par exemple à 45° nord et Oslo, capitale de la Norvège, à 59° de latitude nord. Pour monter en latitude il faut ainsi parcourir des kilomètres et se diriger vers les territoires du grand nord.
Quelles différences sur le climat ?
Lorsque l’on monte en altitude, la température diminue. Dans les Alpes, chaque fois que l’on monte de 100 mètres, la température diminue de 0,6°C. Ainsi, à 1 000 mètres d’altitude, la température moyenne annuelle est de 6°C environ. On imagine bien qu’entre 2 000 et 4 000 mètres, la vie peine à se développer. La diminution de la pression atmosphérique entraine cette chute des températures car l’air se dilate et donc se refroidit. Pour lutter contre ce froid mordant et les vents parfois violents, la végétation se racourcit jusqu’à devenir rase. Les arbres quittent le décor et laisse place à la toundra alpine. L’oxygène se raréfie, tout comme les animaux.

Randonnée du grand Galibier dans les Cerces, hautes Alpes ©Raido
Du côté de l’Arctique, le processus est différent. Ce n’est pas le changement de pression atmosphérique qui entraîne la chute des températures mais l’inclinaison des rayons du soleil par rapport à la surface de la terre. En effet, ces derniers, bien plus obliques que dans nos pays tempérés, sont moins efficaces à réchauffer l’atmosphère. N’oublions pas la nuit polaire où le soleil déserte totalement le ciel pour ne laisser place qu’à l’osbcurité complète interrompu parfois par le ballet des aurores boréales.
Altitude-altitude, quand la végétation s’adapte
Que vous traversiez les étages de montagne ou les paysages du Sud au Nord des pays nordiques, vous pourrez observer l’adaptation spectaculaire de la flore à son environnement.
Adaptation de la végétation à son environnement
Dans les deux situations, la vie est confontée à la rigueur des éléments et doit faire preuve d’adaptation. Elle doit notamment affronter : la chute des températures, la neige, l’accentuation des éléments comme le vent ou la pluie, une diminution de l’oxygène et de la pression atmosphérique en milieu alpin, et des cycles particuliers de lumière en milieu polaire. Cette adaptation chez les plantes est visible à travers des phénomènes de nanisme, de formation en coussinet, de réduction de la taille des feuilles… On dénombre environ 270 espèces de plantes communes entre les territoires boréaux et montagnards.

Saule polaire, arbre nain du Svalbard ©Raido
Etages de montagne et biomes terrestres
Si cette adaptation demande d’avaler les kilomètres du Sud au Nord dans les pays nordiques, elle est visible à l’oeil nu et peut même être parcourue en l’espace d’une à deux journées en montagne. Effectivement, quand on regarde une montagne depuis la plaine, on peut observer en un regard le changement de végétation due à l’altitude.

Etages de végétation en montagne ©Pethrus
On parle d’étage alpins pour le milieu montagnard et de biomes concernant le monde terrestre. En milieu arctique, le biome est spécifique aux régions boréales.
Parallèle sur la végétation entre les étages alpins et nordiques :
Milieu montagnard | Milieu polaire |
Jusqu’à 1 000 mètres d’altitude : l’étage collinéen avec habitations, prés, champs, vergers, vignes, collines, forêts de feuillus (chênes, hêtres, érables, frênes…). | Entre environ 20° et 50° de latitude nord : biome de la forêt tempérée décidue fait de forêts de feuillus à feuilles caduques (chênes, hêtres, érables, frênes…) |
De 1 000 à 1 600 mètres d’altitude : l’étage montagnard avec ses forêts mixtes, mélange de feuillus et de résineux (pins, conifères, mélèzes…). | Entre environ 50° et 65° de latitude nord : biome de la forêt boréale appelée aussi taïga. Forêt constituée essentiellement de conifères (épicéas, sapins, mélèzes, pins) et quelques arbres à feuilles caduques (bouleaux, saules). |
De 1600 à 2300 mètres d’altitude : l’étage subalpin avec sa forêt de résineux ; | Continuité de la forêt boréale. |
De 2 300 à 3 000 mètres d’altitude : l’étage alpin où les arbres laissent place à une pelouse rase composée de différentes espèces végétales. On l’appelle parfois « toundra alpine » ou « alpage ». | A partir de 65° de latitude nord jusqu’aux calottes glaciaires de l’extrême nord : le biome de la toundra arctique, biome le plus septentrionnal de la planète. On y trouve une végétation rase avec très peu d’arbres nains. La toundra arctique est composée entre autres de : lichens, mousses, graminées, plantes ligneuses, etc. |
Au-delà de 3 000 mètres d’altitude : l’étage nival avec ses rochers, ses sols rocailleux, ses lichens et ses mousses rares. | Continuité de la toundra, souvent rocheux, contenant un sol gelé appelé « pergélisol ». Entre-coupée de glaciers, de calottes glaciaires et même de la calotte polaire du Groenlan. |
Ce changement de végétation est due à l’adaptation dont elle doit faire preuve face aux contraintes climatiques telles que le vent, les températures basses, le manque d’oxygène, l’enneigement, le changement de pression atmosphérique ou de lumière. En effet, si en montagne, la végétation doit faire face à de l’oxygène raréfié, dans le grand nord, elle doit faire face au jour permanent durant les mois d’été et à la nuit polaire durant l’hiver.
Quelques plantes de nos montagnes croisées en région arctique
Je ne vais pas décrire ici toutes les espèces floristiques communes entre l’univers alpin et l’univers polaire mais seulement quelques unes que j’ai pru croiser durant mes périgrinations dans ces deux régions du monde.
Côté flore, les épilobes sont nombreux, j’en ai croisé plusieurs sur les chemins des Bauges, tout comme sur les chemins de Norvège du nord, dans les îles Lofoten. J’en ai observé également, avec toujours cette belle couleur violet vif, mais beaucoup plus petits au Groenland, des épilobes arctiques. J’ai également vu des saxifrages à feuilles opposées dans les Alpes et dans la toundra du Spitzberg avec cette même formation en coussinet pour lutter contre le froid. J’ai pensé que la linaigrette découverte en Islande était typique des pays froids, mais je fus étonnée de la retrouver dans les tourbières des Écrins. C’est toujours une belle suprise de retrouver des fleurs découvertes dans les régions polaires si près de chez moi. C’est dans ces moments-là où je me dis que je suis en train d’accomplir un petit voyage exceptionnel entourées d’espèces si précieuses et dans un univers grandiose.

Saxifrage à feuilles opposées au Spitzberg ©Raido
Quand la faune s’adapte
Adaptation de la faune au froid
Tout comme la flore arctique, la faune sauvage a développé des adaptations physiques exceptionnelles pour lutter contre les conditions climatiques rigoureuses. Que ce soit dans le grand nord ou en montagne, les animaux se dotent d’un manteau de fourrure épais et accumulent durant la période estivale, une couche de graisse généreuse pour contrer le froid l’hiver. Certaines espèces comme le renard polaire ou le lagopède alpin changent de couleur, devenant blanc durant la période hivernale et brun le reste de l’année. Un super camouflage pour se cacher des prédateurs ou au contraire, mieux atteindre les proies.

Renard polaire ©Jonatan Pie
Le nanisme fait également partie des stratégies pour lutter contre le froid. Les rennes du Svalbard, espèce endémique de cet archipel du haut Arctique, sont plus petits et plus trappus que leurs cousins scandinaves. Le lièvre arctique possède des oreilles plus courtes que le lièvre variable, pour éviter la déperdition de chaleur et limiter l’évapotranspiration. Le renard arctique est lui aussi plus petit que le renard roux, tout comme ses pattes, ses oreilles et son museau qui sont plus courts. De cette manière, il perd moins de chaleur et a moins de prise au vent.
Les super-adaptations
Les bouquetins, chamois et isards ont développées des caractéristiques spécifiques pour s’adapter au milieu montagnard. Leurs sabots agissent comme de petites raquettes dans la neige et comme de vrai petits chaussons anti-dérapant sur la roche. Ils arrivent ainsi à gravir des parois extrêment raides avec une agilité stupéfiante. Ils ont également une plus grande capacité respiratoire que les humains, paliant le déficit d’oxygène lié à l’altitude.

Bouquetin perché sur la roche des montagnes ©Stefano Zocca
Du côté de l’Arctique, l’ours polaire est un exemple pregnant. Sa peau est noire et son pelage translucide pour capter un maximum de chaleur toute l’année, son odorat puissant lui permet de sentir ses proies à grande distance et sous des mètres de glace. Bon nageur, il est totalement adapté à la banquise qui est son terrain de chasse et de vie. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est classé comme mammifère marin « ursus maritimus » et non comme mammifère terrestre. Le renard polaire est aussi un bon exemple de super-adaptation. Avec sa fourrure épaisse l’hiver, il peut survivre à des températures jusqu’à -50°C.

Ours polaires
Les espèces communes entre l’Arctique et les Alpes
Parmi les espèces que j’ai rencontrées aussi bien en montagne qu’en Arctique, se trouvent :
- Le tétras-lyre, vu en Finlande et dans les Alpes ;
- Le lagopède alpin vu au Spitzberg et dans le Vercors.

Lagopède alpin ©
Pour le reste des oiseaux, ces derniers sont migrateurs, vous en trouvez donc une partie en Arctique l’été et parfois près de chez nous le reste de l’année. C’est notamment le cas du bruant des neiges, du macareux moine ou encore du pluvier doré.
Les « cousins »
Côté mammifère, chacun s’est adapté à son milieu. On retrouve en Arctique une faune spécifique adaptée aux longues nuit polaires et au jour permanent, aux grandes étendues de toundra et à la banquise. Cette faune n’est bien sûr pas la même qu’en montagne où cette dernière a développé des caractéristiques spécifiques au milieu vertical et rocheux. On notera toutefois quelques ressemblances entre des espèces comme le renard roux, le lièvre variable ou encore l’ours bruns, présents dans nos montagnes, et le renard et le lièvre arctiques ainsi que l’ours polaire, présents dans le grand nord. On peut également cité l’aigle royal présent dans nos massifs alpins et le pygargue à queue blanche, près de la mer de Scandinavie. Des cousins aux nombreuses similarités.
Ainsi, on comprend comment une randonnée dans les Alpes est chaque fois un petit voyage. En l’espace d’une journée, les températures, la végétation, la faune et les paysages changent. On se dépense physiquement, on part à la rencontre d’une biodiversité unique qui a sû s’adapter à son environnement exceptionnel, on profite de grands espaces, et au sommet, on profite de cette sublime vue où l’horizon se dégage. On y rencontre même des espèces communes à des territoires grandioses, presque mythiques, les terres du grand nord. Voyager en Arctique est bien sûr l’expérience d’une vie où l’on part à la rencontre d’un biome singulier, d’une biodiversité extraordinaire et de paysages spectaculaires entre couleur de la toundra et blanc des glaciers. Montagnes des Alpes et terres polaires ont tous deux cette capacité à offrir émerveillement, aventure et dépassement de soi. Ce sont deux mondes du froid où l’on se sent seul au monde, au coeur du monde sauvage, où l’on peut déconnecter du quotidien et reconnecter à la nature, où l’on se sent petit face à tant de grandeurs. Deux espaces puissants et à la fois si vulnérables, subissant de plein fouet le changement climatique.
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