Les icebergs sont de véritables chefs-d’oeuvre de la nature. Qu’ils soient petits ou grands, ils incarnent une force tranquille qui suscite admiration et appréhension. Cette rencontre avec la glace m’a bouleversée au Svalbard et je la garde précieusement en mémoire.
La glace domine le Svalbard. On la trouve aussi bien enfouie des mètres sous terre, le pergélisol, en surface sous forme de neiges et de glaciers, ainsi que sur l’eau sous forme d’icebergs. La glace est la meilleure amie de l’ours polaire. Sa fourrure blanche s’y confondant parfaitement, il lui est ainsi plus facile de chasser le phoque sans trop se faire repérer. Il n’est donc pas surprenant que l’archipel soit devenu leur refuge.
Les glaciers, à l’origine des icebergs
La neige tombe et se dépose sur la terre. Avec le temps et l’accumulation d’autres flocons, elle se tasse, libère l’air et forme de la glace. Cette transformation de neige en glace peut prendre entre 5 à 100 ans selon la densité des précipitations et les températures. Son accumulation en altitude crée les calottes glaciaires ou inlandsis, d’où coulent les glaciers.
Sous l’effet du poids et de la gravité, la glace bouge. Les glaciers avancent ainsi de quelques centimètres à plusieurs mètres par jour. Le record est détenu par le glacier d’Ilulissat au Groenland qui avance de 20 à 35 mètres par jour. On dit que le glacier est actif. Le glacier parcoure ainsi des kilomètres pour se heurter à l’océan. A ce moment-là, la glace en bordure se fragilise, se casse et plonge dans l’eau. C’est ainsi que se forment les icebergs. Quand la glace se fend et tombe, on dit que le glacier vêle. Le vêlage peut parfois être très bruyant et sonner comme un coup de tonnerre. Depuis notre camp de Svéa, bien qu’une distance de plusieurs dizaines de kilomètres nous séparait du glacier, nous entendions le grondement du vêlage dans tout le fjord. C’était très étrange d’entendre le tonnerre en plein jour sous le soleil.

Glacier de Svéa, Spitzberg
Mais le glacier n’est pas le seul à teinter le fjord de sons. Si le glacier gronde, les icebergs eux, pétillent. J’ai découvert avec fascination ce petit bruit de pop-corn dans l’eau. Moi qui croyais la glace silencieuse, c’est tout le contraire, en réalité elle ne s’arrête jamais de parler. En effet, la rencontre entre la glace à 0°c et l’eau « chaude » à 4°c provoque la libération des bulles d’air qui claquent. Ainsi la nuit, entre les mouettes et les sternes qui se battaient en piaillant au-dessus du camp, le glacier qui grondait tel le tonnerre au loin et les icebergs qui faisaient du pop-corn à côté de ma tente, trouver le sommeil n’était pas toujours simple ! Néanmoins, j’aimais bien écouter tous ces sons nouveaux et étranges avant de dormir.
Les différents types d’icebergs
Si le fjord est profond, la glace tombe et demeure indemne formant ainsi de grands icebergs. A l’inverse, si le fjord est peu profond, la glace se brise en milliers de glaçons formant ce qu’on appelle le brash. Il faut imaginer une sorte de glace pillée recouvrant l’eau. Nous avons pu admirer ce phénomène dans les fjords peu profonds de Svéa et d’Ekmann.
La glace peut avoir des couleurs, des formes, un poids, des tailles tout à fait différents. Ainsi, quand nous ne comprenons que l’unique terme « d’iceberg » en français pour désigner la glace flottante, les inuits possèdent quant à eux plus de 40 mots pour en parler.
Iceberg vient du scandinave isberg, qui signifie « montagne de glace ». Il est défini comme un bloc de glace flottant en mer.
Les bourguignons sont quant à eux, des morceaux de glace de dizaines de centimètres, parfois un à deux mètres de diamètre.

Icebergs et brash à Svalbard
Dans l’ordre de taille on a :
Brash → bourguignon → fragment d’iceberg → grand iceberg → tabulaire → île flottante.
Le guide polaire de la marine norvégienne compte 95 types de glaces flottantes et 7 catégories de taille. On peut également trouver un glossaire intéressant sur le site de l’environnement et du changement climatique du Canada.
Le danger des glaciers et des icebergs
On nous parle peu des dangers des icebergs et des glaciers, pourtant les risques sont réels. En tombant, la glace peut se briser et éclater en milliers de petits glaçons éjectés à grande vitesse à des dizaines de mètres alentours. Si vous vous trouvez sur leur trajectoire, les conséquences peuvent être graves. De plus, la vague déferlante qui résulte de la chute de l’iceberg dans l’eau, peut tout recouvrir sur plusieurs kilomètres. En conséquence, il est conseillé de garder ses distances d’un front actif, c’est-à-dire au moins du double de la hauteur du glacier.
A titre d’exemple, en 2007 au Spitzberg, un bateau s’est approché trop près du glacier et un vêlage a blessé 18 personnes, touchées par des blocs de glaces ou ballottées par le bateau.
En août 2012, le vêlage du glacier Esmark, près de Longyearbyen, a entraîné la chute d’un grand iceberg qui, en s’éclatant sur le fond du fjord, a projeté une pluie d’obus glacés à plus de 300 mètres. L’un des touristes présent sur le bateau a été tué sur le coup et un autre blessé.
Attention à ne pas s’approcher de trop près des icebergs également. Imprévisibles, ils peuvent se casser, s’effondrer ou se retourner à tout moment. Mieux vaut ne pas être trop près à ce moment-là.
Si la glace est belle, elle peut aussi être dangereuse.

Kayak au pied du glacier de Svéa, Svalbard.
Pourquoi la glace est bleue
La lumière est composée des 7 couleurs de l’arc-en-ciel. Chaque objet autour de nous absorbe des rayons différents en fonction de sa composition moléculaire. Les rayonnements non absorbés sont réfléchis et visibles à l’œil nu, déterminant leur couleur. Une surface absorbant tout le spectre de lumière apparaîtra noire, à l’inverse, si elle réfléchit tout le spectre de lumière, elle apparaîtra blanche. La glace ancienne et compacte absorbe tous les rayons de lumière, en priorité les rayons rouges et jaune, excepté le bleu qui lui est réfléchi. La réflexion donne ainsi sa couleur bleue à la glace.
L’autre paramètre donnant la couleur bleuté des icebergs est la densité de leur structure et donc leur âge. Généralement, plus la glace est ancienne, plus elle est compressée et dure, contenant beaucoup moins de molécule d’air. Elle absorbe ainsi plus facilement la lumière. A l’inverse, plus elle contient de bulles d’air, moins elle absorbe la lumière et plus elle réfléchit ses rayonnements, donnant une couleur blanche.

Icebergs dans le fjord d’Ekmann, Svalbard.
Pourquoi la glace flotte
La glace flotte car elle est moins dense que l’eau. Etant moins dense, elle est donc plus légère et flotte.
⇒ Petite explication physique rapide et simple par Jamy.
Comme la glace flotte, il peut nous arriver de penser qu’elle est légère. Or, elle est en réalité terriblement lourde. Quand je slalomais entre les glaçons à bord de mon kayak dans le fjord de Svéa, je me suis retrouvée nez-à-nez avec un bourguignon (si vous ne comprenez pas ce qu’un type de Bourgogne vient faire ici, lisez plus haut, paragraphe « les différents types d’icebergs »). Un peu flemmarde à l’idée de le contourner, j’ai voulu l’écarter à l’aide de ma pagaie. Boum, je me suis heurtée à un bloc de plusieurs dizaines de kilos. Autant pousser une voiture avec une pagaie, l’effet aurait été le même.
L’eau des glaciers, une eau pure ?
Bon nombre de marques de boissons présentent l’eau des glaciers comme « l’eau la plus pure et la plus fraîche de la planète ». Un véritable argument de vente qui fait mouche auprès des consommateurs, persuadés de boire une eau absolument immaculée. Résultat, les ventes flambent et les marques font leur chiffre. A Longyearbyen, après qu’un bateau de croisière ait déversé son lot de touristes sur la ville, j’en ai vu bon nombre se précipiter dans la boutique de souvenirs pour acheter les bouteilles étiquetées « eau du glacier ».
En réalité, la glace est un véritable livre qui conserve en son sein de nombreux éléments. On peut y lire toute l’histoire de la terre et ce n’est pas vraiment fabuleux… Les glaciologues et climatologues y prélèvent : pollens, polluants, cendres volcaniques, composants radioactifs, métaux lourds, DDT… la glace piège et conserve toute l’histoire de l’environnement. On peut ainsi retracer l’histoire de la terre sur presque 800 000 ans, des cendres du volcan Merapi il y a 18 000 ans, en passant par les pollens d’arbres datant d’il y a 5000 ans, aux particules nucléaires d’Hiroshima en 1945 pour finir aux polluants dus à notre activité industrielle actuelle. Dans la glace, on y trouve même des virus. Au Groenland, des chercheurs auraient découvert trois virus congelés. Des maladies séculaires dont il y a fort à parier que nos corps ne savent plus s’en défendre.
Autre chose que l’on trouve dans la glace, ce sont des « vers », appelés tardigrades. Dotés de huit pattes et mesurant entre 0,1 et 1,5 mm, ces vers des glaces microscopiques vivent sur presque tous les glaciers. Extrêmement résistants, ils survivent à des températures allant de +150°C à -272,8°C. On retrouve dans leur corps du tétralose, un antigel qui leur permet de vivre sur la glace.
Alors, l’eau des glaciers, une eau vraiment pure ?

Glacier du Svalbard, Svéa.
Les glaciers ont tant à nous dire et à nous apporter. Ils sont de véritables archives de la planète et une fois traitée, la glace est également une importante source d’eau douce. Pourtant, sous l’effet du réchauffement climatique, la glace fond. Il n’est pourtant pas encore trop tard pour inverser la tendance et préserver ce paradis blanc, si précieux pour notre planète et si spectaculaire pour nos yeux.
Crédit photo image de Une : Marion Rib, copine de campement au Svalbard.
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